Qu'avez-vous pensé de la dernière cérémonie des Victoires de la Musique ?
Tiken Jah Fakoly : C'était super. Le passage d'Amadou et Mariam avec toute la troupe de danseuses africaines a apporté beaucoup de couleurs. C'est vrai qu'il n'y a pas assez de choix dans la catégorie world/reggae/ragga, (qui est proposée en un alors qu'il y a beaucoup d'artistes), mais c'est déjà un début puisque nous sommes un peu représentés. D'ailleurs, j'étais le premier africain à remporter une victoire de la musique...
Que signifie pour vous le terme "Françafrique", titre de votre avant-dernier album ?
Françafrique, pour moi, c'est la collaboration nord-sud, mais qui, malheureusement, n'est pas positive des deux côtés, parce que je trouve que le gâteau n'est pas partagé équitablement. La France nous a donné la photocopie de l'indépendance, mais elle est encore là pour faire son business. Elle ordonne encore des choses jusqu'à maintenant et protège ses intérêts.
Vous êtes né le 23 juin 1969 dans un petit village en Côte d'Ivoire (Odienné). Que pouvez vous nous apprendre de plus sur votre famille ainsi que sur votre en fance ?
Rectification : je suis né en 68 (rires) ! Je suis d'origine Mandingue, donc de l'empire du Mandingue. Mes ancêtres sont partis du centre de l'Afrique et se sont déplacé vers le nord de la Côte d'Ivoire où ils se sont établis en tant que commerçants. A noter que le nom "Côte d'Ivoire" n'existait pas, puisque les frontières ont été tracées en 1 898 seulement.
Je peux aussi dire que dan ma famille, il n'y a jamais eu d'artistes. Je suis descendant d'un chef de guerre qui se nomme Fakoly (c'est d'ailleur ce nom que j'ai gardé), donc je n'avais pas vraiment le droit de chanter, comme nous sommes des guerriers, au contraire des griots qui,eux, peuvoient chanter. Et il se trouve qu'il y a eu unévénement dans ma famille. C'était en 1800 quelque chose, je ne me souviens pas de la date. Il y avait ce guerrier qui se battait de ville en ville, emmenant avec lui toute la population. Il est ensuite arrivé dans mon village. Après sa bataille, il décide de confier le village à mon arrière grand-père car la femme de ce dernier portait le même nom que sa mère. Alors, quand la population partait en guerre, mon arrière grand-père avait la responsabilité des animaux et pour ne pas qu'ils s'échappent, il eut une super idée : celle de créer un orchestre dans le village et jouer la nuit pour faire croire aux animaux que le village n'était pas vide (rires) ! Voilà comment la musique a fait son entrée dans ma famille.
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 Pourquoi ne pouvez-vous plus retourner en Côte d'Ivoire ?
Parce que j'ai dit que le pouvoir en place était mal élu, que les conditions d'élection n'étaient pas claires et que ceux qui ont gagné ont été mal élus. Depuis, je suis menacé de mort. Si j'y retourne, je sais ce qui m'attend. Aujourd'hui, ce qu'on me demande, c'est de rectifier ce que j'ai dit, mais moi je n'ai pas l'intention de revenir en arrière car je pense que j'ai le droit de m'exprimer librement.
Est-ce le but du reggae ?
Le reggae, pour moi, est la musique la mieux placée pour faire passer un message. Quand j'ai découvert le reggae, j'avais 14 ans et je demandais à mon ami de me traduire les paroles. Puis j'ai découvert l'injustice, la colonisation, l'esclavage, etc.
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Vous êtes considéré comme un rebelle de la société, mais vous êtes un exemple pour des milliers de jeunes. Ce contraste vous plait-il ?
(Rires) Oui, un peu dans le sens où on ne peut pas plaire à tout le monde. Dans mon pays, par exemple, les jeunes qui soutiennent le gouvernement en place n'apprécient pas la musique de Tiken Jah. Quand mon album est sorti en octobre dernier, ils ont dévalisé les commerçants et sont même allés voir mon distributeur en le menaçant de détruire les usines! Tout cela me prouve que j'ai une force, je fais peur à certains : quand on vend 75 000 albums en 2 jours dans un pays où le gouvernement ne vous apprécie pas, cela fait peur ! Je ne détiens pas la vérité, mais je continuerai mon combat
Comment naît un texte chez Tiken Jah ?
En général, les idées me viennent quand, par exemple, je me balade au parc, quand je me dirige vers la tête de taxi ou quand je viens de lire un article de presse. J'écris vraiment quand je m'apprête à rentrer en studio, je commence souvent par le refrain puis les coplets
Si vous deviez me chanter une chanson de cet album de suite, ce serait laquelle ?
Sans hésiter "Plus rien ne m'étonne".
Pourquoi ?
Parce que je pense qu'en tant qu'africaine, vous devez souvent vous poser des questions sur votre pays, votre nation. Avant, l'Afrique était bien structurée, il y'avait les copinages, les plaisanteries, les familles... On aurait dû garder cet empire comme un pays, je ne dis pas non plus qu'il n'y aurait pas eu d'histoires. Nous, les Africains, on a toujours eu des histoires, sauf qu'on sait régler cela en famille !
Il se trouve qu'on a pris des gens de l'empire du Mandingue, les Ashantis du Ghana et un autre peuple du Libéria et on leur a dit : voilà la Côte d'Ivoire, vous devez vivre ensemble ! En Afrique, chaque peuple à son histoire, son chef et c'est ce que je dis dans la chanson et je pense que si je devais chanter pour vous là de suite, j'aurais chanté cette chanson.
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